Homélie du 4ème dimanche du carême

Le Fils de l’homme est venu non pour juger,

mais pour que le monde soit sauvé !

2Chr 36,14…23; Eph 2,4-10; Jean 3,14-21

Par Ignace Plissart

L’évangile de ce jour évoque un étrange épisode de l’Ancien Testament, celui d’un serpent d’airain qui avait pouvoir de guérir (Lire Nb 21,4-9).

Cet épisode constitue une infraction caractérisée à la Torah, et plus précisément au premier commandement du Décalogue ; il déroute nos frères Juifs (Israélites):

 

« Tu ne te feras aucune image sculptée,

rien qui ressemble à ce qui est dans les cieux là-haut,

ou sur la terre ici-bas

ou dans les eaux au-dessous de la terre. » Ex 20,4

 

Alors que le décalogue interdit toute image sculptée, le Seigneur ordonne à Moïse d’en façonner une. Pourquoi le Seigneur Dieu enfreint-il sa propre loi ? Pourquoi ordonne-t-il à Moïse, ce qu’antérieurement il lui avait interdit de faire ?

Cette question laisse perplexes les adeptes du judaïsme.

Les chrétiens, quant à eux,  n’y voient pas vraiment de problème !

Primo, nous pensons qu’aucune loi divine n’est absolue, hormis ces deux commandements : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » et « Tu ne haïras pas ton prochain« . Et puis si Dieu est ce bon père, il ne peut que tolérer des exceptions à ses propres règles. Quel est le parent qui ne fait pas de même pour ses enfants !

 

Secundo, une loi qui était justifiée à une époque, peut ne plus l’être à une autre. Au temps où les Hébreux étaient tentés de vénérer les idoles en or massif des Cananéens, cet interdit avait toute sa raison d’être.

 

Tertio, nous pensons aussi qu’à travers cette transgression mineure, le Seigneur préparait les cœurs à en accepter une autre, beaucoup plus importante encore, celle de l’incarnation de la Sagesse de Dieu en Jésus. Jésus n’est-il pas l’image de Dieu ?

« Qui me voit, voit le Père, dit Jésus » Jn 14,19

 

Mais revenons au récit des petits serpents qui menaçaient les Hébreux. Ce récit nous enseigne deux choses :

La première : Que nous sommes tous sont grandement menacés par tous genres de morsures mortelles, celle de la haine, de la division, de la convoitise, de l’idolâtrie, etc.

Et la deuxième : Que pour nous vacciner de ces morsures mortels, il nous faut contempler celui qui nous a aimés jusqu’à l’extrême (Jésus en croix) et nous adjoindre à son Corps que forment ceux qui vivent de son Esprit et de sa Parole. Oui, nous avons besoin de contempler Jésus comme l’ont fait les saintes femmes au calvaire et de faire corps entre nous disciples de Jésus :

 

« Il y avait là de nombreuses femmes qui regardaient Jésus à distance,

celles-là même qui l’avaient suivi depuis la Galilée. » Mc 15,40

 

C’est ce que l’évangéliste nous dit à sa manière dans cette admirable formule :

« Le Fils de l’homme est venu non pas pour juger, mais pour que le monde soit sauvé. » Jn 3,17

 

Oui, le Fils de l’homme, tel un médecin, est venu pour que le monde soit sauvé, guéri, relevé, et il n’est pas venu pour le juger, le condamner, le châtier. Jésus en croix est le signe le plus clair de cette sollicitude de Dieu à l’égard d’une humanité profondément blessée, et incapable d’aimer par ses seules forces. Nous avons besoin de Jésus. « Jésus, tu es le seul vrai médecin de nos âmes et de nos corps ! »

 

Si l’évangile de ce jour s’était clôturé sur le verset que nous venons de citer : Le Fils de l’homme est venu non pour juger, mais pour que le monde soit sauvé », c’eut été parfait. Mais le verset qui lui fait suite semble tout remettre en question :

 

« Celui qui croit dans le Fils de l’homme échappe au jugement,  celui qui ne veut pas croire, est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. » Jn 3,18

 

Dans ce verset, Dieu semble retirer d’une main ce qu’il avait donné de l’autre. Alors qu’il s’était engagé à ne pas juger, et le voilà qu’il annonce un jugement. Alors quoi ?

Effectivement ce verset fait problème. Dans le passé, des chrétiens l’ont exploité pour fermer les portes du Royaume aux païens et aux incroyants, càd à ceux qui vivaient dans l’ignorance de Jésus, ou qui, le connaissant, ne lui reconnaissaient pas sa dignité de Fils Unique de Dieu.

Aujourd’hui ces chrétiens se font rares. N’empêche que beaucoup d’entre eux continuent de ressentir un malaise, écartelés entre la conviction profonde que le Royaume n’est fermé à aucun humain, et ce verset qui semble affirmer le contraire.

 

Pour retrouver la sérénité, et du même coup sauver la bonté divine, il nous faut examiner de plus près deux groupes de mots du verset incriminé : « être jugé » et « qui ne veut pas croire »

 

Concernant le premier groupe, la question suivante se pose : « Par qui est-il jugé, celui qui ne veut pas croire ?  » Le texte ne le précise pas !  Serait-il jugé par le Fils de l’homme ? Si c’était le cas, nous aurions là une contradiction dans les termes : simultanément le Fils de l’homme jugerait et ne jugerait pas. Alors par qui est-il jugé celui qui ne veut pas croire ? Mais par lui-même !  C’est lui qui se condamne et personne d’autre !  Le verset 19 confirme cette lecture:

 

« Et le jugement, le voici : Quand la lumière est venue dans le monde,

des hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. »

 

Quand je suis malade, si je refuse de le reconnaître, ou  m’obstine à refuser l’aide de celui qui pourrait m’aider, n’est-ce pas moi et moi seul qui me condamne à rester malade ou à sombrer dans la mort. Oui, le grand désir du Fils de l’homme est que chacun de nous guérisse, que chacun de nous vive pleinement. Imaginer le contraire s’oppose à une saine lecture de l’évangile ! Restons fermement attachés à cette conviction que le Fils de l’homme est venu pour que le monde soit sauvé, soit libéré.

 

Abordons le deuxième groupe de mots : « Se condamne celui qui ne veut pas croire ?

Première réflexion : Ceux qui ne connaissent pas Jésus, parce qu’ils ne l’ont jamais vraiment rencontré, peuvent difficilement « ne pas vouloir » croire en lui. Autrement dit la condamnation lié au fait de ne pas croire au Fils unique de Dieu ne les concernent pas.

Deuxième réflexion : Dans l’expression « celui qui ne veut pas croire », l’objet de la foi n’est pas précisé. Cela veut dire que la foi dont il est question dans ce verset, passe aussi et peut-être d’abord, à travers une obéissance à la  vie, aux appels de ma conscience, à cette part de divin qui m’habite, aux appels des petits, aux grands préceptes de ma tradition religieuse, etc. Autrement dit, un homme peut s’inscrire dans la foi en Jésus Fils unique de Dieu sans pour autant le connaître explicitement. Cette parole de Jésus, tirée du récit du Jugement dernier, nous le confirme :

 

« Ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. »

Mt 25,40