La soumission, cause de salut !
Jér 31,31-34; Héb 5,7-9; Jn 12,20-33
Par Ignace Plissart
Frères et sœurs, en écoutant la deuxième lecture, tirée d’Hébreux 5,7-9, avez-vous remarqué son lien de famille avec un hymne très connu, l’hymne au Christ en Philippiens 2,6-11 ? En effet ces deux textes appartiennent à la même veine théologique. Pour faciliter la comparaison, je me permets de vous le réciter comme je l’ai fait un jour devant une inconnue.
Jésus, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu,
mais il s’anéantit lui-même prenant condition de serviteur (litt. : esclave).
S’étant comporté comme un homme, il s’humilia plus encore,
obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur la croix.
Aussi Dieu l’a-t-il exalté, lui a-t-il donné le nom qui est au-dessus de tout nom,
pour que tout genou fléchisse au ciel, sur terre, et aux enfers,
et que toute langue proclame
que Jésus est Christ et Seigneur à la gloire de Dieu le Père. Ph 2,6-11
Cet hymne christique et son jumeau sont parmi les plus beaux passages des Lettres du N.T. Vous me direz peut-être : « Comment pouvez-vous apprécier des textes qui multiplient des mots, tels que s’anéantir, prendre condition d’esclave, s’humilier, obéir, apprendre à obéir, se soumettre en tout, supplier avec larmes et cris ? » J’en conviens : ce vocabulaire est plein d’embûches. Il n’en reste pas moins qu’il se dégage de ces deux textes une puissance de séduction et de fascination extraordinaire.
Cette puissance de séduction, je l’ai expérimentée lors d’une semaine d’évangélisation organisée par la Légion de Marie (Un mouvement marial et missionnaire) à Lisieux dans les années 1980. Bien que certains d’entre vous connaissent cette histoire, je ne puis résister à la raconter à nouveau.
C’était un matin d’été. Ma compagne canadienne et moi avions reçu la mission de faire du ‘porte à porte’ dans une rue bourgeoise de Lisieux. Nous sonnons donc à la porte d’une villa. Elle était construite sur une petite hauteur. Une jeune fille vient nous ouvrir. Elle est en peignoir. Le murmure d’une bouilloire nous indique que la jeune fille préparait son petit déjeuner.
Tout de suite nous la saluons et nous nous présentons : « Nous sommes membres d’un groupe de chrétiens belges et canadiens qui consacrons la semaine à partager notre foi. Souhaitez-vous ce partage, ne serait ce que quelques minutes. » « Oui, nous dit-elle » Je lui demande alors si elle connaît Jésus. Elle me répond que non. Étonné, je l’interroge pour vérifier son dire et constate qu’effectivement Jésus, pour elle, est un parfait inconnu. Je lui demande alors si elle souhaite que nous lui parlions de Jésus. Elle nous dit que oui. Son oui nous désarçonne ! Ce n’est pas tous les jours qu’on est amené à exprimer l’essentiel de sa foi d’une manière aussi abrupte. Par quel bout fallait-il commencer !
C’est alors que je décide de lui réciter l’hymne de Philippiens 2.
Après le lui avoir récité, je me lance dans un commentaire du texte, en m’arrêtant sur chaque mot. Et lorsque j’arrive au passage où il est dit : « …pour que tout genou, au ciel, sur terre et aux enfers, fléchisse. », la voilà qui s’agenouille au vu et au su des passants de la rue et reste ainsi jusqu’au moment où quelques instants plus tard nous l’invitons à se relever.
De cette rencontre, je retiens ceci : certains textes bibliques recèlent une puissance d’interpellation étonnante. L’hymne au Christ en Ph 2,6-11 en est un exemple et Héb 5,7-9, un autre.
A mon humble avis, ces deux textes constituent une des plus judicieuses tentatives pour expliquer la ‘manière’ dont Jésus nous a sauvés. Sans la moindre équivoque, ces textes nous disent que c’est en se faisant obéissant dans sa chair, en vivant la foi (et l’espérance et la charité) jusqu’à l’extrême, que Jésus a opéré son salut et le nôtre. Notre salut ne fut pas une affaire de sang qui devait couler, ni une affaire d’offense à réparer, ni de colère à apaiser, ni de prix à payer. Jésus nous a sauvé en menant sa propre humanité jusqu’à l’extrême confiance en son Père, en ses frères les humains, et en nous entraînant à sa suite sur ce chemin de radicale confiance. Il nous sauve comme par induction d’amour ! Pour vous en convaincre, revenons aux détails de ces deux textes :
« Jésus a été exaucé, nous disent Ph et Héb, parce qu’il s’est soumis en tout, parce qu’il s’est comporté comme un homme, parce qu’il a pris condition de serviteur, parce qu’il a présenté avec cris et larmes sa prière, parce qu’il a appris l’obéissance par les souffrances de sa passion »
Comme tout homme, Jésus a connu l’angoisse, la déréliction ; comme vous et moi, Jésus a éprouvé la difficulté de rester confiant et aimant dans ces moments où l’imagination s’affole et le coeur décroche, le corps crie. Comme un rocher assailli par les vagues, Jésus est resté ferme et fidèle. Jésus est l’image accomplie de l’homme croyant, de l’homme qui a mis toute sa confiance en celui qui n’impose rien, mais propose de maintenir le cap de l’amour, tout en portant sa croix. Ce n’est pas le Père qui nous impose notre croix, mais les hommes ou les circonstances ou le destin. Néanmoins c’est le Père qui nous invite à « la porter librement », littéralement comme « on porte un étendard« .
Ces textes nous parlent d’humilité, d’obéissance, de soumission ? De quelle soumission s’agit-il ?
D’une soumission imposée ? Jésus aurait-il dû payer ce tribut pour être sauvé et devenir sauveur ? Dieu aurait-il exigé de Jésus qu’il courba la tête comme un esclave, avant qu’il ne le sauve ? Dieu aurait-il vu en Jésus un concurrent à brider ? Si cette interprétation effleure votre esprit, méfiez-vous en ! Elle n’est autre que celle du serpent au jardin d’Éden :
« C’est parce que Yahvé craint que vous deveniez des dieux qu’il vous interdit de manger
aux fruits de l’arbre de la connaissance du bien et du mal ! » Gen 3
Alors de quelle soumission s’agit-il ? » – De celle d’un homme libre qui désire adhérer à son être de communion, à sa mission de berger de l’humanité, à son besoin d’aimer sans mesure, à l’exemple de son Père. Son Père ne lui demandait rien d’autre que ce qu’il s’imposait à lui-même. Dans son appel à la soumission, il nous faut refuser de voir en Dieu une quelconque jalousie, une quelconque peur de concurrence, mais voyons-y son désir de partager ce qu’il est, sa divinité amoureuse.
Comme tout humain, Jésus a dû ‘apprendre la vraie soumission’, qui a été fidélité à l’image divine imprimée dans son cœur de fils. Lors de son séjour ‘dans la chair’, Jésus n’a pas bénéficié du privilège d’une maturité acquise sans effort. Comme vous et moi, il a dû apprendre à devenir ‘un homme, un serviteur’. Car tout humain est appelé à être serviteur ! «
Je dormais et je rêvais que la vie n’était que joie ;
je m’éveillai et je vis que la vie n’était que service ;
je servis et je vis que le service était la joie » – Tagore
Ceux d’entre vous qui verraient encore dans les deux hymnes une invitation à une obéissance servile, à une obéissance au doigt et à l’œil, font fausse route. La vie de Jésus est une démonstration vivante du contraire. Quelle n’a pas été sa liberté ! Jésus n’a rien de l’enfant docile. Les souffrances de la croix, Jésus les a acceptées non pas pour satisfaire une obligation extérieure à lui-même, mais dans le désir de témoigner de l’amour non violent de son Père.
A Gethsémani et au Calvaire, la prière de Jésus s’est faite supplication et cri. Ça peut étonner ! Mais quoi de plus normal pour un homme aux abois, que d’espérer, malgré tout, l’intervention de celui qu’on aime, et de la lui demander avec force. J’imagine que lors de son séjour en prison, Mandela a dû souvent demander avec cris et supplications l’intervention de son Seigneur! Ses cris, loin d’exprimer une perte de confiance, venaient la fortifier.
« Ainsi conduit à sa perfection, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel. Parce qu’il s’est soumis, il a été exaucé. Aussi Dieu l’a-t-il exalté, lui a-t-il donné le nom qui est au-dessus de tout nom,… »
En nous ouvrant la voie de la vraie obéissance, en nous introduisant sur le chemin de la vraie foi, Jésus nous sauve de la mort spirituelle, nous introduit dans la plénitude de la vie, celle de son Père et nous ouvre un chemin nouveau.