Homélie pour la fête de la Pentecôte

par Eric Mattheeuws

« Sanctuaires de Dieu et Corps du Christ »C’est un moment que j’aime me représenter : les Apôtres qui jusque là étaient craintifs, fragiles et enfermés, sortent et se mettent à annoncer, à proclamer à haute voix. Il y a là pour moi une des plus fortes réalités du Nouveau Testament : il est arrivé quelque chose à ces hommes-là, une expérience d’une force très particulière. Mais il ne faut pas croire que c’est une sorte de privilège unique auquel ils auraient eu droit. D’ailleurs, je me pose la question : le livre des Actes des Apôtres nous dit l’étonnement des foules : « comment-se fait-il que chacun de nous les entende dans son propre dialecte ? » Cela ne signifie-t-il pas que l’Esprit qui souffle dans la voix des Apôtres souffle également dans les oreilles de ceux qui les écoutent ? Poser la question, c’est y répondre. L’Esprit Saint, c’est Dieu qui est totalement déconfiné, c’est Jésus qui n’est plus lié par les limites de sa présence physique. L’Esprit Saint, c’est le Souffle divin qui respire en chaque existence, et non pas seulement chez certaines catégories de personnes. Ce jour-là à Jérusalem, il s’est trouvé des Partes, des Mèdes, des Élamites, des Mésopotamiens, des Égyptiens, des Romains pour être touchés par le témoignage des Apôtres. L’Esprit du Christ ne sait pas ce que c’est qu’une frontière. La Pentecôte est le déploiement plénier, dans la totalité de l’espace et du temps, de l’évènement de la Résurrection du Christ.Pourtant, cet Esprit ne fait pas beaucoup parler de lui, il est discret. Comme l’écrivait Basile de Césarée au 4ème siècle : « Dieu a donné à la terre le souffle qui la nourrit. C’est son haleine qui donne la vie à toutes choses. Et s’il retenait son Souffle, tout s’anéantirait. Ce Souffle vibre dans le tien, dans ta voix. C’est le Souffle de Dieu que tu respires – et tu ne le sais pas. » Le théologien orthodoxe Olivier Clément commente : « l’Esprit est le Dieu secret, le Dieu intérieur, plus profond que notre grande profondeur. » (O. Clément, Sources, DDB, 2008, p.88.) Quelle surprise et quel émerveillement si, quand je me dispose à écouter le souffle qui vibre en moi, je découvre que c’est aussi le Souffle de Dieu qui respire en moi. Il respire, c’est-à-dire qu’il diffuse en moi un souffle qui vient de Lui, il suscite en moi une vie dont je ne savais pas qu’elle était divine.Dans l’évangile de ce jour, la visite du Ressuscité aux Apôtres nous donne quelques exemples de cette vie qui accompagne le Souffle de Dieu. Les Apôtres étaient enfermés, les voilà déverrouillés. Ils étaient inquiets, ils reçoivent la paix. Ils étaient figés, ils sont envoyés. La marque par excellence de l’entrée en eux de l’Esprit Saint est la capacité qu’ils reçoivent de pardonner les péchés, qui jusque là était réservée à Dieu lui-même. En fait, pour le dire en bref, investis du Souffle de Dieu, les Apôtres deviennent des autres Christ – d’ailleurs on finira par appeler les disciples les « christiens », puis « chrétiens ». Cela ne leur donne pas le monopole sur l’Esprit Saint, qui comme on l’a dit ne connaît pas de frontières ; mais eux le connaissent, savent que cet Esprit est celui du Christ. Ils savent que ce Souffle les garde en lien avec Jésus ressuscité présent au milieu d’eux. Ils peuvent appeler l’Esprit, l’écouter, le célébrer, et faire corps autour de lui. Saint Paul écrira : « Ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? » (1 Co 3,16) et « Vous êtes corps du Christ et, chacun pour votre part, vous êtes membres de ce corps. » (1 Co 12,27) Pour eux, ce sera le cœur de leur foi et même le pivot de leur existence : faire corps avec le Christ et autour de lui. Là était pour eux la source de la foi, de l’espérance, de l’amour qu’ils avaient reçus, dont ils voulaient vivre et dont ils étaient appelés à témoigner.C’est donc le même Esprit, le même Souffle divin qui irrigue les profondeurs de tout être humain et qui édifie l’Église. C’est l’Esprit de résurrection, de plénitude, de communion. C’est l’Esprit qui nous fait vibrer à la beauté de la nature, à la douceur de la tendresse, à l’impératif de la justice, à la souffrance des innocents, à la force d’une vraie unité entre les humains, à la pureté de la vérité.Ne laissons pas passer cette fête de la Pentecôte sans nous arrêter pour écouter notre souffle intérieur, et pour en même temps nous ouvrir, nous épanouir dans un désir, une demande, une prière : Seigneur, envahis-moi de ton Souffle qui vibre dans mes profondeurs, qu’il me fasse me déployer, entrer dans une communion avec l’aspiration du monde à être plus vivant, qu’il me garde dans la communion au Christ qui révèle la plénitude de toute vie. Esprit-Saint, toi le Dieu discret, sois le Souffle de mon quotidien. Dans les lieux où je vis, dans mes relations, dans ce pour quoi Dieu compte sur moi, déverrouille-moi, apaise-moi, envoie-moi.

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Homélie de la Pentecôte

Par Ignace Plissart

Laissez-vous mener par l’Esprit-Saint !

ICo 12,3…13; Act 2,1-36; Jn 20,19-23

Shavouoth (ou la Pentecôte) est, avec Pesha (ou la fête Pâque) et avec Souccoth (ou la fête des Tentes), une des trois grandes fêtes du judaïsme. Comme pour ses deux sœurs jumelles, son origine remonte au séjour des Hébreux au désert, il y a trois mille ans d’ici. Littéralement Shavouoth, veut dire ‘fête des semaines’, des « sept semaines » qui la sépare de Pesha [(7×7) +1].

Pour nos frères Israélites, Shavouoth évoque quatre événements de leur histoire :

  • – l’arrivée des Hébreux au pied du Sinaï cinquante jours (49 + 1) après la traversée de la mer des roseaux. D’où l’appellation actuelle ‘Pentecôte’ qui dérive de l’expression grecque ‘η πεντηκοστη ημερα’, ce qui veut dire ‘le cinquantième jour’ (après Pesha).
  • la transformation d’une foule d’immigrés en un peuple.
  • la remise à ce peuple des deux tables de la Loi ou Décalogue
  • le don de l’Esprit Saint aux (seuls) anciens de ce peuple

Pour nous chrétiens, cette fête évoque :

  • l’inscription de l’accomplissement des deux Tables de la Loi mosaïque au plus intime de nos cœurs (Le
  • sermon sur la Montagne (Mt 5, 6 et 7)
  • le don de l’Esprit Saint qui nous donne la capacité de pratiquer la Loi mosaïque dans son accomplissement
  • Le renouvellement (rajeunissement) du peuple de Dieu en l’Église.


Plus qu’une évocation du passé, chaque fête de Pentecôte célébrée dans la foi est une grâce, pour chacun d’entre nous et pour l’Église dans son ensemble.
Elle est d’abord une grâce pour chacun d’entre nous :
Alors que nous sommes faits pour communier à Dieu et aux autres, l’esprit du monde nous pousse à l’exaltation de notre ego, à la violence, à la haine de l’adversaire, à la compétition sans merci (Ôte-toi de là, que je m’y mette !), à l’ignorance de Dieu et à la méfiance à son égard. Or l’Esprit Saint peut nous aider à échapper à ses pièges !
Comment ? En lui faisant confiance !

«Laissez-vous mener par l’Esprit et vous ne risquerez pas de satisfaire à la convoitise
charnelle. Car l’œuvre de l’Esprit en vous est charité, joie, paix, patience, serviabilité, bonté, confiance, douceur et maîtrise de soi. » Gal 5,16-24

L’Esprit Saint peut aussi nous réintroduire dans la vraie liberté qui est capacité à faire le bien :

« Agissez en hommes libres, non pas en hommes qui font de la liberté un voile sur leur malice, mais en serviteur de Dieu. » I Pi 2,16

Il peut aussi gratuitement effacer de notre cœur toute trace de peur, de culpabilité, et nous introduire dans une confiance radicale au Seigneur.

« L’Esprit que vous avez reçu, ne fait pas de vous des esclaves, des gens qui ont encore peur. C’est un Esprit qui fait de vous des fils » Rom 8,15

L’Esprit saint est le seul à pouvoir nous donner de comprendre le message évangélique :

« Le défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit. » Jn 14,27

Mais la Pentecôte est aussi la fête de l’Église, du peuple de Dieu renouvelé.
Tous les groupes humains, sans exception, des plus petits aux plus grands, depuis les couples jusqu’aux nations, souffrent d’intolérance, de division, de la violence. Et l’Église n’échappe pas à ces pathologies. Elle aussi a un besoin urgent d’être purifiée par le feu de l’Esprit. Je n’en doute pas : En ce temps de Pentecôte, l’Esprit Saint va renouveler l’Église, notre mère et la guérir.
Il va redonner à l’épouse du Christ, plus d’ouverture, plus de catholicité, plus d’unité, plus de diversité, plus de tendresse pour les « petits ».
L’Esprit Saint va nous faire comprendre que l’Église a un avenir devant elle, que la vraie Tradition n’est pas répétition pure et simple du passé, mais création toujours nouvelle en fidélité au « dépôt de la foi » (L’enseignement des Douze : les écrits du N.T. et parmi ceux-ci,
plus particulièrement les évangiles).
Il va nous faire comprendre que la Tradition n’est pas comparable à une boule de neige qui s’enfle sous la poussée d’enfants amusés et qui finit par s’immobiliser du fait de son trop grand poids. Non, elle est comme le chant de la source, qui selon les saisons adapte son rythme, son volume, sa mélodie.
Et je termine notre propos en vous lisant et en vous commentant le bref message que Roger Schutz, le fondateur de la communauté œcuménique de Taizé, adressait aux jeunes chrétiens, il y a de ça presque cinquante ans (Pâques 1972 ?)

Le Christ ressuscité (et son Esprit) vient animer une fête au plus intime de l’homme… Il nous prépare un printemps de l’Église, d’une Église
dépourvue de moyens de puissance, lieu de communion visible pour toute l’humanité, prête à un partage avec tous… Il va nous donner assez d’imagination et de courage pour ouvrir une voie de réconciliation. Il va nous préparer à donner notre vie pour que l’homme ne soit plus victime de l’homme.

Depuis cette proclamation, beaucoup de choses ont changé dans l’Église, et en bien. Il est important et juste de le constater. Manifestement, nos communautés ont gagné en simplicité, en humilité, en fraternité. La participation des laïcs s’y est intensifiée. La foi est devenue plus personnelle. Le prêtres est descendu de son piedestal. Le langage de Pierre est devenu moins rigide, plus vrai, plus accessible. Pensez à l’encyclique « Laudato si » du pape François ! Aujourd’hui dans la persécution,
les chrétiens s’inquiètent moins de se défendre que de témoigner.
Cela dit, ce serait illusion que de penser que l’Esprit Saint a achevé son travail d’aggiornamento. Nous sommes comme au milieu d’un gué ; nous laissons dernière nous une rive où nos pères avaient développé pendant des siècles une culture chrétienne bien particulière, pas toujours évangélique, et nous nous dirigeons vers une autre rive, vers une autre culture chrétienne qui devra intégrer les acquis en exégèse, en anthropologie, en bioéthique, en psychanalyse, en philosophie, en astronomie, en physique, etc.; cette nouvelle culture devra intégrer le fait que les terriens ne forment plus qu’un seul village, qu’ils sont les gardiens de la nature; elle devra assimiler les valeurs démocratiques, reconnaître les ministères nouveaux qui émergent aujourd’hui, oser jeter les filets en eaux
profondes, oser libérer la parole, oser le dialogue entre nous, et aussi avec nos frères séparés, avec les Musulmans et les adeptes des autres religions ; elle devra renoncer à cette attitude de repli ou d’assiégés encore trop présente ; elle devra renouveller sa confiance en l’homme, etc.

Que deviendra l’Église de demain ! Je ne puis vous le dire, mais ce que je sais, c’est qu’arrivée sur l’autre rive, elle sera redevenue une lumière pour le monde