Homélie de la Pentecôte

Par Ignace Plissart

Laissez-vous mener par l’Esprit-Saint !

ICo 12,3…13; Act 2,1-36; Jn 20,19-23

Shavouoth (ou la Pentecôte) est, avec Pesha (ou la fête Pâque) et avec Souccoth (ou la fête des Tentes), une des trois grandes fêtes du judaïsme. Comme pour ses deux sœurs jumelles, son origine remonte au séjour des Hébreux au désert, il y a trois mille ans d’ici. Littéralement Shavouoth, veut dire ‘fête des semaines’, des « sept semaines » qui la sépare de Pesha [(7×7) +1].

Pour nos frères Israélites, Shavouoth évoque quatre événements de leur histoire :

  • – l’arrivée des Hébreux au pied du Sinaï cinquante jours (49 + 1) après la traversée de la mer des roseaux. D’où l’appellation actuelle ‘Pentecôte’ qui dérive de l’expression grecque ‘η πεντηκοστη ημερα’, ce qui veut dire ‘le cinquantième jour’ (après Pesha).
  • la transformation d’une foule d’immigrés en un peuple.
  • la remise à ce peuple des deux tables de la Loi ou Décalogue
  • le don de l’Esprit Saint aux (seuls) anciens de ce peuple

Pour nous chrétiens, cette fête évoque :

  • l’inscription de l’accomplissement des deux Tables de la Loi mosaïque au plus intime de nos cœurs (Le
  • sermon sur la Montagne (Mt 5, 6 et 7)
  • le don de l’Esprit Saint qui nous donne la capacité de pratiquer la Loi mosaïque dans son accomplissement
  • Le renouvellement (rajeunissement) du peuple de Dieu en l’Église.


Plus qu’une évocation du passé, chaque fête de Pentecôte célébrée dans la foi est une grâce, pour chacun d’entre nous et pour l’Église dans son ensemble.
Elle est d’abord une grâce pour chacun d’entre nous :
Alors que nous sommes faits pour communier à Dieu et aux autres, l’esprit du monde nous pousse à l’exaltation de notre ego, à la violence, à la haine de l’adversaire, à la compétition sans merci (Ôte-toi de là, que je m’y mette !), à l’ignorance de Dieu et à la méfiance à son égard. Or l’Esprit Saint peut nous aider à échapper à ses pièges !
Comment ? En lui faisant confiance !

«Laissez-vous mener par l’Esprit et vous ne risquerez pas de satisfaire à la convoitise
charnelle. Car l’œuvre de l’Esprit en vous est charité, joie, paix, patience, serviabilité, bonté, confiance, douceur et maîtrise de soi. » Gal 5,16-24

L’Esprit Saint peut aussi nous réintroduire dans la vraie liberté qui est capacité à faire le bien :

« Agissez en hommes libres, non pas en hommes qui font de la liberté un voile sur leur malice, mais en serviteur de Dieu. » I Pi 2,16

Il peut aussi gratuitement effacer de notre cœur toute trace de peur, de culpabilité, et nous introduire dans une confiance radicale au Seigneur.

« L’Esprit que vous avez reçu, ne fait pas de vous des esclaves, des gens qui ont encore peur. C’est un Esprit qui fait de vous des fils » Rom 8,15

L’Esprit saint est le seul à pouvoir nous donner de comprendre le message évangélique :

« Le défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit. » Jn 14,27

Mais la Pentecôte est aussi la fête de l’Église, du peuple de Dieu renouvelé.
Tous les groupes humains, sans exception, des plus petits aux plus grands, depuis les couples jusqu’aux nations, souffrent d’intolérance, de division, de la violence. Et l’Église n’échappe pas à ces pathologies. Elle aussi a un besoin urgent d’être purifiée par le feu de l’Esprit. Je n’en doute pas : En ce temps de Pentecôte, l’Esprit Saint va renouveler l’Église, notre mère et la guérir.
Il va redonner à l’épouse du Christ, plus d’ouverture, plus de catholicité, plus d’unité, plus de diversité, plus de tendresse pour les « petits ».
L’Esprit Saint va nous faire comprendre que l’Église a un avenir devant elle, que la vraie Tradition n’est pas répétition pure et simple du passé, mais création toujours nouvelle en fidélité au « dépôt de la foi » (L’enseignement des Douze : les écrits du N.T. et parmi ceux-ci,
plus particulièrement les évangiles).
Il va nous faire comprendre que la Tradition n’est pas comparable à une boule de neige qui s’enfle sous la poussée d’enfants amusés et qui finit par s’immobiliser du fait de son trop grand poids. Non, elle est comme le chant de la source, qui selon les saisons adapte son rythme, son volume, sa mélodie.
Et je termine notre propos en vous lisant et en vous commentant le bref message que Roger Schutz, le fondateur de la communauté œcuménique de Taizé, adressait aux jeunes chrétiens, il y a de ça presque cinquante ans (Pâques 1972 ?)

Le Christ ressuscité (et son Esprit) vient animer une fête au plus intime de l’homme… Il nous prépare un printemps de l’Église, d’une Église
dépourvue de moyens de puissance, lieu de communion visible pour toute l’humanité, prête à un partage avec tous… Il va nous donner assez d’imagination et de courage pour ouvrir une voie de réconciliation. Il va nous préparer à donner notre vie pour que l’homme ne soit plus victime de l’homme.

Depuis cette proclamation, beaucoup de choses ont changé dans l’Église, et en bien. Il est important et juste de le constater. Manifestement, nos communautés ont gagné en simplicité, en humilité, en fraternité. La participation des laïcs s’y est intensifiée. La foi est devenue plus personnelle. Le prêtres est descendu de son piedestal. Le langage de Pierre est devenu moins rigide, plus vrai, plus accessible. Pensez à l’encyclique « Laudato si » du pape François ! Aujourd’hui dans la persécution,
les chrétiens s’inquiètent moins de se défendre que de témoigner.
Cela dit, ce serait illusion que de penser que l’Esprit Saint a achevé son travail d’aggiornamento. Nous sommes comme au milieu d’un gué ; nous laissons dernière nous une rive où nos pères avaient développé pendant des siècles une culture chrétienne bien particulière, pas toujours évangélique, et nous nous dirigeons vers une autre rive, vers une autre culture chrétienne qui devra intégrer les acquis en exégèse, en anthropologie, en bioéthique, en psychanalyse, en philosophie, en astronomie, en physique, etc.; cette nouvelle culture devra intégrer le fait que les terriens ne forment plus qu’un seul village, qu’ils sont les gardiens de la nature; elle devra assimiler les valeurs démocratiques, reconnaître les ministères nouveaux qui émergent aujourd’hui, oser jeter les filets en eaux
profondes, oser libérer la parole, oser le dialogue entre nous, et aussi avec nos frères séparés, avec les Musulmans et les adeptes des autres religions ; elle devra renoncer à cette attitude de repli ou d’assiégés encore trop présente ; elle devra renouveller sa confiance en l’homme, etc.

Que deviendra l’Église de demain ! Je ne puis vous le dire, mais ce que je sais, c’est qu’arrivée sur l’autre rive, elle sera redevenue une lumière pour le monde

Homélie du dimanche des rameaux

« Sang versé pour la rémission de nos péchés »

Par Ignace Plissart

 

Après l’écoute du récit de la passion, on ne peut s’empêcher de se poser trois questions : “De quoi le Christ est-il venu sauver les hommes ? », « Comment concrètement le Christ a-t-il procédé pour sauver les hommes ? « Quelle est la place des souffrances du Christ dans le salut des hommes ?

 

Passons à la première question : « De quoi le Christ Jésus est-il venu sauver les hommes ? »

Le message de l’Ange à Joseph (en Mat 1,21) nous en donne la réponse : Jésus  est venu « sauver son peuple du péché ». L’expression « la rémission de nos péchés » reprend la même idée.  On la retrouve dans Symbole des Apôtres,  dans le récit de l’Institution de la Cène, et dans la première prédication de Pierre au sortir du Cénacle.  

 

Ceci dit, que faut-il entendre par le terme « péché » ? Il se dégage, en observant les œuvres de Jésus que « sauver les hommes du péché » signifie :  « les libérer de leur cécité, de leur surdité, de leur mutisme, de leur sommeil, de leur paralysie, de l’infestation de leur cœur, de leur désespérance face à la mort, de leur besoin morbide de s’auto justifier en abaissant les autres, en le jugeant ; signifie encore de leur signifier le pardon gratuit de Dieu (Si ton cœur te condamne, sache que Dieu est plus grand que ton cœur ! I Jn), etc.  Comme vous pouvez le constater, le péché déborde largement l’ancienne définition du catéchisme qui le définissait comme une désobéissance délibérée, consciente et libre à la Loi divine.

 

Ceci acquis, notre questionnement rebondit : « Comment Jésus a-t-il procédé pour sauver les hommes du péché ? »

Son mode opératoire était multiple, divers et profondément humain. Jésus  ne recourait jamais à des formules magiques (c/ dans le Vaudou), ni à des rituels sacrés supposés agir « ex opere operato », ni à des prodiges (ceux qu’on lui attribue, le sont à tort). Jésus a sauvé ses contemporains par son regard aimant (avec le jeune riche), par son toucher compatissant (avec le lépreux), par sa parole d’autorité (avec l’homme habité d’un esprit impur), par cette question « Quel est ton nom ? » (avec l’homme habité de la Légion), par cet entretien impromptu (avec l’aveugle de la porte de Jéricho), par l’annonce du Royaume de Dieu qui vient (avec les foules), etc. Tous ces modes opératoires se résumaient en un seul mot : « En les aimant profondément, humainement, en vérité « 

 

En effet le seul souci de Jésus a toujours été d’aimer sans condition chaque homme quel qu’il est, et là où il est. Vous ne trouverez chez lui aucune trace de vengeance, de mépris, de susceptibilité, de revanche, de marchandage, et ce, malgré la perspective d’une mort infamante certaine.

 

Ceci nous ramène à la 3ième  question : «« Quelle est la place des souffrances du Christ dans le salut des hommes ? Les souffrances du Christ ne prennent sens qu’en lien avec toute sa vie et tout son ministère. Elles viennent authentifier le témoignage de son amour fou pour les hommes. Ce qui sauve les hommes, ce n’est pas du sang versé, mais le service fidèle de Jésus à Dieu et aux hommes, ses frères, jusqu’à son dernier souffle sur la croix.

 

Ceci nous amène à une 4ème  question : « Quelle est notre place, à nous chrétiens, dans le salut des hommes ?

L’œuvre du Christ Jésus se poursuit à travers le témoignage et la souffrance de « son Corps » (l’Église) que forment ces hommes et ces femmes qui se laissent rassembler en son nom et vivent, dans l’assurance de son pardon, et dans l’obéissance à son commandement d’amour  vécue dans la puissance de l’Esprit Saint :

 

Vous êtes, vous, le Corps du Christ, et membres chacun pour sa part. I Co 12,27

Vous donc, les élus de Dieu, ses saints et ses bien-aimés, revêtez les sentiments de tendre compassion, de bienveillance, d’humilité, de douceur et de patience; supportez-vous les uns les autres et pardonnez-vous mutuellement, si l’un a contre l’autre quelque sujet de plainte; le Seigneur vous a pardonné, faites de même à votre tour.  Col 3,12-13

 

L’œuvre de Jésus se poursuit dans le temps par la puissance de l’exemple de sa vie et de celle de son Corps, qu’est l’Église. Et la puissance de l’exemple de l’Église est fonction direct de sa persévérance à « se souvenir de sa mort… jusqu’à ce qu’il revienne dans sa gloire » I Co 11,23

 

Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et maître,

vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns les autres.

Car c’est un exemple que je vous ai donné,

pour que vous fassiez, vous aussi, comme moi. Jn 13,14-15

 

C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres

qu’on reconnaîtra que vous êtes mes disciples. Jn 13,35

 

En fait, à chaque Fraction du pain (assemblée eucharistie),  nous nous rappelons que Christ nous a aimés jusqu’à la mort, et nous nous engageons à mourir avec lui pour « la rémission des péchés » de nos contemporains, en les aimant à notre tour jusqu’à l’extrême.

Homélie du 5ème dimanche du Carême

La soumission, cause de salut !

Jér 31,31-34; Héb 5,7-9; Jn 12,20-33

Par Ignace Plissart

 

Frères et sœurs, en écoutant la deuxième lecture, tirée d’Hébreux 5,7-9, avez-vous remarqué son lien de famille avec un hymne très connu, l’hymne au Christ en Philippiens 2,6-11 ? En effet ces deux textes appartiennent à la même veine théologique. Pour faciliter la comparaison, je me permets de vous le réciter comme je l’ai fait un jour devant une inconnue.

 

Jésus, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu,

mais il s’anéantit lui-même prenant condition de serviteur (litt. : esclave).

S’étant comporté comme un homme, il s’humilia plus encore,

obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur la croix.

Aussi Dieu l’a-t-il exalté, lui a-t-il donné le nom qui est au-dessus de tout nom,

pour que tout genou fléchisse au ciel, sur terre, et aux enfers,

et que toute langue proclame

que Jésus est Christ et Seigneur à la gloire de Dieu le Père.     Ph 2,6-11

 

Cet hymne christique et son jumeau sont parmi les plus beaux passages des Lettres du N.T. Vous me direz peut-être : « Comment pouvez-vous apprécier des textes qui multiplient des mots, tels que  s’anéantir, prendre condition d’esclave, s’humilier, obéir, apprendre à obéir, se soumettre en tout, supplier avec larmes et cris ? » J’en conviens : ce vocabulaire est plein d’embûches. Il n’en reste pas moins qu’il se dégage de ces deux textes une puissance de séduction et de fascination extraordinaire.

Cette puissance de séduction, je l’ai expérimentée lors d’une semaine d’évangélisation organisée par la Légion de Marie (Un mouvement marial et missionnaire) à Lisieux dans les années 1980. Bien que certains d’entre vous connaissent cette histoire, je ne puis résister à la raconter à nouveau.

 

C’était un matin d’été. Ma compagne canadienne et moi avions reçu la mission de faire du ‘porte à porte’ dans une rue bourgeoise de Lisieux. Nous sonnons donc à la porte d’une villa. Elle était construite sur une petite hauteur. Une jeune fille vient nous ouvrir. Elle est en peignoir. Le murmure d’une bouilloire nous indique que la jeune fille préparait son petit déjeuner.

Tout de suite nous la saluons et nous nous présentons : « Nous sommes membres d’un groupe de chrétiens belges et canadiens qui consacrons la semaine à partager notre foi. Souhaitez-vous ce partage, ne serait ce que quelques minutes. »  « Oui, nous dit-elle » Je lui demande alors si elle connaît Jésus. Elle me répond que non. Étonné, je l’interroge pour vérifier son dire et constate qu’effectivement Jésus, pour elle, est un parfait inconnu. Je lui demande alors si elle souhaite que nous lui parlions de Jésus. Elle nous dit que oui. Son oui nous désarçonne ! Ce n’est pas tous les jours qu’on est amené à exprimer l’essentiel de sa foi d’une manière aussi abrupte. Par quel bout fallait-il commencer !

C’est alors que je décide de lui réciter l’hymne de Philippiens 2.

Après le lui avoir récité, je me lance dans un commentaire du texte, en m’arrêtant sur chaque mot. Et lorsque j’arrive au passage où il est dit :  « …pour que tout genou, au ciel, sur terre et aux enfers, fléchisse. », la voilà qui s’agenouille au vu et au su des passants de la rue et reste ainsi jusqu’au moment où quelques instants plus tard nous l’invitons à se relever.

 

De cette rencontre, je retiens ceci : certains textes bibliques recèlent une puissance d’interpellation étonnante. L’hymne au Christ en Ph 2,6-11 en est un exemple et Héb 5,7-9,  un autre.

 

A mon humble avis, ces deux textes constituent une des plus judicieuses tentatives pour expliquer la ‘manière’ dont Jésus nous a sauvés. Sans la moindre équivoque, ces textes nous disent que c’est en se faisant obéissant dans sa chair, en vivant la foi (et l’espérance et la charité) jusqu’à l’extrême, que Jésus a opéré son salut et le nôtre. Notre salut ne fut pas une affaire de sang qui devait couler, ni une affaire d’offense à réparer, ni de colère à apaiser, ni de prix à payer. Jésus nous a sauvé en menant sa propre humanité jusqu’à l’extrême confiance en son Père, en ses frères les humains, et en nous entraînant à sa suite sur ce chemin de radicale confiance. Il nous sauve comme par induction d’amour ! Pour vous en convaincre, revenons aux détails de ces deux textes :

 

« Jésus a été exaucé, nous disent Ph et Héb, parce qu’il s’est soumis en tout, parce qu’il s’est comporté comme un homme, parce qu’il a pris condition de serviteur, parce qu’il a présenté avec cris et larmes sa prière,  parce qu’il a appris l’obéissance par les souffrances de sa passion »

 

Comme tout homme, Jésus a connu l’angoisse, la déréliction ; comme vous et moi, Jésus a éprouvé la difficulté de rester confiant et aimant dans ces moments où l’imagination s’affole et le coeur décroche, le corps crie. Comme un rocher assailli par les vagues, Jésus est resté ferme et fidèle. Jésus est l’image accomplie de l’homme croyant, de l’homme qui a mis toute sa confiance en celui qui n’impose rien, mais propose de maintenir le cap de l’amour, tout en portant sa croix. Ce n’est pas le Père qui nous impose notre croix, mais les hommes ou les circonstances ou le destin. Néanmoins c’est le Père qui nous invite à « la porter librement », littéralement comme « on porte un étendard« .

 

Ces textes nous parlent d’humilité, d’obéissance, de soumission ? De quelle soumission s’agit-il ?  

D’une soumission imposée ?  Jésus aurait-il dû payer ce tribut pour être sauvé et devenir sauveur ?  Dieu aurait-il exigé de Jésus qu’il courba la tête comme un esclave, avant qu’il ne le sauve ?  Dieu aurait-il vu en Jésus un concurrent à brider ? Si cette interprétation effleure votre esprit, méfiez-vous en ! Elle n’est autre que celle du serpent au jardin d’Éden :

 

« C’est parce que Yahvé craint que vous deveniez des dieux qu’il vous interdit de manger

aux fruits de l’arbre de la connaissance du bien et du mal ! » Gen 3

 

Alors de quelle soumission s’agit-il ? » – De celle d’un homme libre qui désire adhérer à son être de communion, à sa mission de berger de l’humanité, à son besoin d’aimer sans mesure, à l’exemple de son Père. Son Père ne lui demandait rien d’autre que ce qu’il s’imposait à lui-même. Dans son appel à la soumission, il nous faut refuser de voir en Dieu une quelconque jalousie, une quelconque peur de concurrence, mais voyons-y son désir de partager ce qu’il est, sa divinité amoureuse.

Comme tout humain, Jésus a dû ‘apprendre la vraie soumission’, qui a été fidélité à l’image divine imprimée dans son cœur de fils. Lors de son séjour ‘dans la chair’, Jésus n’a pas bénéficié du privilège d’une maturité acquise sans effort. Comme vous et moi, il a dû apprendre à devenir ‘un homme, un serviteur’.  Car tout humain est appelé à être serviteur ! « 

 

Je dormais et je rêvais que la vie n’était que joie ;

je m’éveillai et je vis que la vie n’était que service ;

je servis et je vis que le service était la joie » –  Tagore

 

Ceux d’entre vous qui verraient encore dans les deux hymnes une invitation à une obéissance servile, à une obéissance au doigt et à l’œil, font fausse route. La vie de Jésus est une démonstration vivante du contraire. Quelle n’a pas été  sa liberté ! Jésus n’a rien de l’enfant docile. Les souffrances de la croix, Jésus les a acceptées non pas pour satisfaire une obligation extérieure à lui-même, mais dans le désir de témoigner de l’amour non violent de son Père.

A Gethsémani et au Calvaire,  la prière de Jésus s’est faite supplication et cri. Ça peut étonner ! Mais quoi de plus normal pour un homme aux abois, que d’espérer, malgré tout, l’intervention de celui qu’on aime, et de la lui demander avec force. J’imagine que lors de son séjour en prison, Mandela a dû souvent demander avec cris et supplications l’intervention de son Seigneur!  Ses cris, loin d’exprimer une perte de confiance, venaient la fortifier.

 

« Ainsi conduit à sa perfection, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel. Parce qu’il s’est soumis, il a été exaucé.  Aussi Dieu l’a-t-il exalté, lui a-t-il donné le nom qui est au-dessus de tout nom,… »

 

En nous ouvrant la voie de la vraie obéissance, en nous introduisant sur le chemin de la vraie foi, Jésus nous sauve de la mort spirituelle, nous introduit dans la plénitude de la vie, celle de son Père et nous ouvre un chemin nouveau.

Homélie du 1er dimanche du carême

Revisitons notre baptême !
(à travers le baptême des Douze)

Par Ignace Plissart

En ce début de Carême 2018, la liturgie nous invite une nouvelle fois « à raviver la grâce de
notre baptême » comme on ravive les braises d’un feu au petit matin.
Mais revisiter notre baptême est une gageure ! Et ce, pour deux raisons ; la première : nous
n’en avons aucun souvenir, puisqu’il nous fut imposé à la naissance ; et la deuxième raison :
les baptêmes d’enfants auxquels nous aurions assisté, sont de très mauvais exemples pour
nous introduire dans le mystère de notre baptême, car ces baptêmes, réduits à un rite et à une
formule, ont perdu ce qui en faisait leur puissance spirituelle : l’engagement personnel du
catéchumène.
Alors comment mener notre enquête ? Je propose, dans un premier temps, de relever dans le
N.T. quelques passages où l’on parle du baptême. Il y a toute chance qu’on y apprendra
quelque chose d’utile pour notre enquête !
1. Au Jourdain, le prophète Jean prêchait un baptême de conversion ; il adressait son appel à
des adultes déçus par les promesses de leurs religions respectives. Entendez « conversion »
dans le sens d’un passage d’une obéissance servile à des préceptes, vers une obéissance
confiante à Dieu autre et en sa Parole. Jean disait : « Moi, je vous baptise dans l’eau, mais
vient après moi celui qui vous baptisera dans l’Esprit Saint (et le feu). » Mc 1,8 – Ici le
baptême dans l’Esprit Saint qu’évoque Jean ne sera pas lié à un rite.
2. Encore au Jourdain : Après avoir été baptisé par Jean, Jésus sortit de l’eau, et voici que les
cieux s’ouvrirent et il vit l’Esprit Saint descendre telle une colombe, et voici qu’une voix
venant du ciel se fit entendre : « Tu es mon Fils bien-aimé, en toi j’ai mis toute ma
complaisance » Mc 1,10 – Ici la descente de l’Esprit Saint s’opère hors rite.
3. Lors de la montée de Jésus et de ses disciples vers Jérusalem, Jacques et Jean demandèrent
à Jésus de pouvoir s’asseoir à sa droite et à sa gauche, càd de pouvoir partager son pouvoir.
Jésus leur répondit : « Êtes-vous prêts à être baptisés dans le baptême dans lequel je serai
baptisé, et boire à la coupe à laquelle je vais boire ?» Ils répondirent « Oui, nous le
pouvons !» Mc 10,38 – Ici le baptême équivaut à être associé à la mort de Jésus.
4. Quelques jours après sa Résurrection et avant son Ascension, Jésus dit aux siens : « Jean
vous a baptisés dans l’eau; d’ici peu de jours, c’est dans l’Esprit Saint (et le feu) que vous
serez baptisés » Act 1,5 – Ici le baptême d’eau est clairement dissocié du baptême dans
l’Esprit qui leur sera donné à la Pentecôte, sans rite.
5. Quelques années plus tard, Pierre et Jean descendirent chez les Samaritains et prièrent pour
eux, afin que l’Esprit Saint leur fût donné. Car il n’était tombé sur aucun d’eux ; ils avaient
seulement été baptisés au nom du Seigneur Jésus. Act 8,14 – Le baptême de l’Esprit Saint
apparaît ici comme l’aboutissement du baptême chrétien, et une nouvelle fois sans rite.
6. Plus tard encore, dans sa lettre adressée aux Romains, Paul écrit ceci : « Ignorez-vous que
baptisés dans le Christ, c’est dans sa mort que vous avez été baptisés (et pas seulement
dans sa résurrection) " Rom 6,1-3
Sur base de cet inventaire (incomplet), nous constatons que le baptême chrétien est moins un
rite qu’un engagement d’une conscience droite à l’égard de Dieu le Père, en Christ et dans
l’Esprit.
Passons au deuxième temps : Posons-nous la question : « Où et quand les Douze ont-ils été
baptisés ? ». La réponse à cette question va nous aider à rentrer plus avant dans le mystère de
notre baptême.

(Questionner l’assemblée ou poursuivre par le paragraphe suivant)

HoméliesB_Car01_Baptême

Certains d’entre vous me diront : « Au Jourdain». Effectivement la plupart des Douze, sinon tous, ont fréquenté
le prophète Jean et se sont laissés baptiser de ses mains. Mais ce baptême était-il déjà chrétien ? Non. Tout au
plus en était-il l’amorce.
D’autres me diront : « Au Cénacle, lors de la descente de l’Esprit Saint sous l’apparence de langues de feu ».
Effectivement le don de l’Esprit appartient au baptême chrétien, et en constitue même le point d’orgue, mais il
n’en est pas la totalité.
Vos (ces) deux réponses contiennent leur part de vérité, mais l’une et l’autre pèchent par
insuffisance. Jésus y est oublié. Or nous savons que son rôle y est essentiel.
En fait le baptême des Douze s’est étalé sur les trois années du ministère de Jésus, depuis son
séjour au Jourdain jusqu’à la Pentecôte (hors rites pour les 2/3). On peut y distinguer trois
étapes dans leur baptême : l’étape du Jourdain, la première, vécue autour du prophète Jean,
puis l’étape de la Galilée, durant laquelle les disciples suivent Jésus, et enfin l’étape de
l’Ascension – Pentecôte où ils reçoivent l’Esprit Saint et sont rassemblés en un peuple
nouveau. J’appelle la première étape, celle du Père ; la deuxième, celle du Fils ; et la
troisième, celle de l’Esprit.
Dans le baptême chrétien, nous retrouvons ces trois étapes, mais entremêlées l’une dans
l’autre. Le baptême chrétien a retenu de l’étape du Jourdain (la première) l’initiative divine,
celle du Père qui appelle tout homme à revenir à Lui (à se tourner vers lui) à travers un rite
unique non renouvelable, vécu dans une confession de foi consciente : l'immersion dans l'eau.
C’est la deuxième étape qui a donné au baptême chrétien son originalité laquelle consiste à
nous greffer sur Jésus : "Croyez en Dieu, mais aussi en moi !" (Jn 14,1)
En effet le baptême chrétien nous engage à la suite de Jésus, nous met à l’écoute de Jésus,
nous entraîne avec Jésus sur le chemin des pauvres; il nous revêt du Christ, càd de son mode
de vie, de sa confiance radicale à son Père; le baptême nous associe à sa mort en croix par
amour des hommes et de son Père.
Le baptême chrétien trouve son point d’orgue dans la troisième étape. En effet le baptême
chrétien a pour but ultime : notre illumination par l’Esprit, notre entrée dans le Corps du
Christ, et notre découverte du vrai nom de Dieu (Père, Amour, Dieu autre)
Pour terminer ce parcours marathon, un mot encore sur son rite majeur du baptême chrétien,
càd l’immersion (réduite aujourd’hui à une simple ablution).
A l’origine, le rite de l’immersion appartenait exclusivement à la première étape, celle du
Jourdain. Aujourd’hui il tire sa signification et du Père, et du Fils et de l’Esprit. Autrement
dit, l’eau baptismale évoque non seulement l’idée de "conversion", mais aussi celle
d’immersion dans la tendresse du Père, de plongée dans la mort du Christ pour "la rémission
des péchés" et d'imprégnation de l’Esprit Saint pour notre renaissance. Et le tout dans « un
engagement envers Dieu avec une conscience droite ». I Pierre 3,21
(Aspersion des fidèles)

Homélie du 3ème dimanche de carême

Jésus chasse les marchands du temple
Ex 20,1-17; 1 Co 1,22-25; Jean 2,13-25

Par Ignace Plissart

J’entends souvent cette réflexion : « Monsieur l’abbé, ne me dites pas que Jésus n’a jamais
péché ! Ne s’est-il pas mis en colère sur les marchands du temple ? »
L’argument témoigne d’une profonde incompréhension de l’action publique de Jésus au
Temple. Or nous sommes là devant ce qu’on appelle ‘une sainte colère’. Car contrairement à
une certaine opinion, toute colère n’est pas mauvaise. « Il est des situations, nous dit saint
Bernard, où ne point s’irriter est péché ». Néanmoins il ajoute qu’une sainte colère doit être
juste, maîtrisée, bienveillante et exceptionnelle. Non seulement le geste de Jésus ne mérite
aucun reproche, mais il mérite mieux : il participe à la noblesse des ‘actions symboliques’ des
grands prophètes.
Une action prophétique (ou symbolique) est un geste exceptionnel, inattendu, hors du
commun, dont le but est de forcer l’attention d’un large auditoire pour lui transmettre un
message divin que les seuls mots n’arrivent pas à dire. Pour ce faire, toujours l’action
symbolique provoque, écorne les convenances.
Un jour, alors que la Judée était menacée d’occupation par les armées de Nabuchodonosor et que les autorités
de Jérusalem pensaient trouver leur salut en demandant la protection de l’Égypte, Jérémie convoque les
habitants de la ville, puis leur ayant présenté une maquette du Temple en terre cuite, la projette vers le sol où
elle éclate en mille morceaux. (Déjà à cette époque, on vendait ce genre d’article dans les boutiques voisinant
le temple de Jérusalem !) Après un temps de silence, il dit à la foule étonnée : « Voilà ce qu’il adviendra de
Jérusalem, si vous tentez de résister au roi de Babylone.» (Jé 7,12-15)
Gandhi lui aussi a eu recours à l’action symbolique. Ceux d’entre vous qui ont vu ce grand film qui porte son
nom se souviendront de cette scène bouleversante où en présence de ses partisans, il tente de jeter ses papiers
d’identité dans un brasero sous les coups de policiers anglais, et ce pour protester contre la discrimination
dont ses frères de race étaient l’objet.
Ceci dit, observons en détail le déroulement de son action prophétique.
Jésus la commence en faisant un fouet à l’aide de cordes qu’il trouve à même le sol.
Armé de ce fouet, il pousse les bestiaux hors du temple. Leurs propriétaires les suivent moins
par peur qu’impressionnés par l’assurance de Jésus. Puis Jésus renverse les comptoirs des
changeurs, répandant leur monnaie sur le sol (L’argent n’est-il pas la moindre des choses !
Luc 16). Enfin il ordonne aux marchands de colombes d’emporter leurs cages, en leur disant :
« Ne faites pas de la maison de mon Père, une maison de trafic. »
Deux remarques :
– J’ai beau cherché, je ne vois aucune trace de violence, mais seulement une force toute
maîtrisée. Le fouet improvisé n’a effrayé personne. Et si vous ressentez quelque gène pour les
pièces éparpillées, rassurez-vous : tout de suite, avant de quitter le temple, leurs propriétaires
les ont récupérées. A l’égard des colombes, symboles de paix, Jésus se montre très délicat, il
ne renverse aucune de leurs cages, il se contente de demander à leurs propriétaires de les
emporter avec eux, évitant ainsi aux colombes la torture d’un sacrifice. Par contre, Jésus ne
prend aucune précaution pour se protéger des réactions que son geste déclencherait. Or les
vrais violents veillent à leur protection rapprochée et lointaine.
– Comme l’exige toute action prophétique, Jésus adresse à son auditoire une parole
forte dont l’évangéliste nous rapporte l’essentiel : « Ne faites pas de la maison de mon Père
une maison de trafic. » Ce message fait écho au livre du prophète Zacharie et plus
particulièrement à la dernière page de son livre, à son dernier verset : « En ces jours-là, dans
la maison du Seigneur Yahvé, il n’y aura plus de trafiquants ! » (14,21).

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Ce verset contient, et une bonne nouvelle, et un appel à la conversion. La bonne nouvelle est qu’aujourd’hui
le Royaume de Dieu a commencé à germer au milieu de vous, que le Jour du Seigneur s’est enfin levé, que la
purification de son Temple vient de débuter ! Et l’appel à la conversion : Vous avez transformé la Maison de
Yahvé en une maison de trafic, de commerce, alors que sa mission est de favoriser un culte d’adoration « en
esprit et en vérité » ; le moment est venu de vous convertir, de reconnaître votre responsabilité dans l’errance
du peuple de Dieu ; Dieu est plein de miséricorde.
Comment réagissent les autorités du temple ?
Le lendemain, (selon Marc), elles viennent à lui et le pressent à se justifier : « Quel signe,
peux-tu nous donner pour justifier ce que tu as fait là, càd dénoncer le culte que nous
organisons ici dans le Temple ?
En fait les autorités du Temple ne lui reprochent pas son action publique, mais mettent en
doute sa légitimité. A leurs yeux, seul un signe, entendons un miracle, une intervention
manifeste de la puissance divine, pourrait prouver son bon droit. Un signe, tel que « la
traversée de la Mer Rouge, la manne tombant du ciel, la traversée à pieds secs du Jourdain, la
conquête fulgurante du pays de Chanaan, etc.). L’apôtre Paul évoque ce genre de signes
réclamés par les pharisiens, les scribes et les Sadducéens en I Co 1,22-23
« Les juifs demandent des signes (des miracles) et les Grecs recherchent la sagesse (des
arguments de la raison raisonnante). Mais nous, nous prêchons un messie crucifié, scandale
pour les Juifs, folie pour les païens, mais pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs, il

est le Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu. ».

Les autorités du temple pressent donc Jésus à se justifier par un signe, un miracle, un prodige.
Jésus s’y refuse, laissant entendre que son geste, non-violent et inscrit dans la tradition
prophétique, ne demande aucune confirmation car il est en lui-même la signature de la
« vraie » puissance de Dieu qui est humilité, abaissement, non-violence et bienveillance. Ne
comprenez-vous pas, leur dit Jésus, que le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, qui est le
vôtre et le mien, n’est pas celui que vous imaginez ! Notre Dieu est un Dieu « autre, tout
autre ». Ce n’est pas dans le tonnerre et l’ouragan qu’Il appelle à la conversion, mais dans « la
brise légère ». Hier, c’était dans la brise légère de mon agir et de ma parole, que Dieu vous
appelait à vous remettre en question et à proposer au peuple la seule adoration qui lui plaise,
l’adoration « en vérité et en esprit » (Jean 5)
La réponse de Jésus scandalise les autorités du Temple ! À travers son action, humble et non-
violente, Jésus vient de leur révéler une tout autre image de Dieu, une image incompatible
avec la leur, une image inédite, reconnaissons-le, jugée « folie » aux yeux du monde. Oui,
Jésus les exhorte, au nom même de leur Dieu, de rompre avec l’image toute puissante qu’ils
s’en étaient fait, et avec la manière toute mercantile d’organiser son culte. Ils voyaient Dieu,
tel un dieu tout puissant, interférant directement dans l’histoire des hommes, arbitrant leurs
différends, châtiant les méchants, comblant les bons de bienfaits, un dieu mêle-tout, un dieu
exigeant des sacrifices, un dieu négociant le salut contre des œuvres religieuses, tout à
l’inverse de la nouvelle image que Jésus leur révèle.
Refusant de rompre avec leur image de Dieu, au nom même de leur Dieu, ils concluront que
Jésus ne pouvait être ni le Grand prophète, ni le Messie, et que donc il méritait la mort pour
avoir blasphémé contre Dieu et son Temple.

Homélie du 4ème dimanche du carême

Le Fils de l’homme est venu non pour juger,

mais pour que le monde soit sauvé !

2Chr 36,14…23; Eph 2,4-10; Jean 3,14-21

Par Ignace Plissart

L’évangile de ce jour évoque un étrange épisode de l’Ancien Testament, celui d’un serpent d’airain qui avait pouvoir de guérir (Lire Nb 21,4-9).

Cet épisode constitue une infraction caractérisée à la Torah, et plus précisément au premier commandement du Décalogue ; il déroute nos frères Juifs (Israélites):

 

« Tu ne te feras aucune image sculptée,

rien qui ressemble à ce qui est dans les cieux là-haut,

ou sur la terre ici-bas

ou dans les eaux au-dessous de la terre. » Ex 20,4

 

Alors que le décalogue interdit toute image sculptée, le Seigneur ordonne à Moïse d’en façonner une. Pourquoi le Seigneur Dieu enfreint-il sa propre loi ? Pourquoi ordonne-t-il à Moïse, ce qu’antérieurement il lui avait interdit de faire ?

Cette question laisse perplexes les adeptes du judaïsme.

Les chrétiens, quant à eux,  n’y voient pas vraiment de problème !

Primo, nous pensons qu’aucune loi divine n’est absolue, hormis ces deux commandements : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » et « Tu ne haïras pas ton prochain« . Et puis si Dieu est ce bon père, il ne peut que tolérer des exceptions à ses propres règles. Quel est le parent qui ne fait pas de même pour ses enfants !

 

Secundo, une loi qui était justifiée à une époque, peut ne plus l’être à une autre. Au temps où les Hébreux étaient tentés de vénérer les idoles en or massif des Cananéens, cet interdit avait toute sa raison d’être.

 

Tertio, nous pensons aussi qu’à travers cette transgression mineure, le Seigneur préparait les cœurs à en accepter une autre, beaucoup plus importante encore, celle de l’incarnation de la Sagesse de Dieu en Jésus. Jésus n’est-il pas l’image de Dieu ?

« Qui me voit, voit le Père, dit Jésus » Jn 14,19

 

Mais revenons au récit des petits serpents qui menaçaient les Hébreux. Ce récit nous enseigne deux choses :

La première : Que nous sommes tous sont grandement menacés par tous genres de morsures mortelles, celle de la haine, de la division, de la convoitise, de l’idolâtrie, etc.

Et la deuxième : Que pour nous vacciner de ces morsures mortels, il nous faut contempler celui qui nous a aimés jusqu’à l’extrême (Jésus en croix) et nous adjoindre à son Corps que forment ceux qui vivent de son Esprit et de sa Parole. Oui, nous avons besoin de contempler Jésus comme l’ont fait les saintes femmes au calvaire et de faire corps entre nous disciples de Jésus :

 

« Il y avait là de nombreuses femmes qui regardaient Jésus à distance,

celles-là même qui l’avaient suivi depuis la Galilée. » Mc 15,40

 

C’est ce que l’évangéliste nous dit à sa manière dans cette admirable formule :

« Le Fils de l’homme est venu non pas pour juger, mais pour que le monde soit sauvé. » Jn 3,17

 

Oui, le Fils de l’homme, tel un médecin, est venu pour que le monde soit sauvé, guéri, relevé, et il n’est pas venu pour le juger, le condamner, le châtier. Jésus en croix est le signe le plus clair de cette sollicitude de Dieu à l’égard d’une humanité profondément blessée, et incapable d’aimer par ses seules forces. Nous avons besoin de Jésus. « Jésus, tu es le seul vrai médecin de nos âmes et de nos corps ! »

 

Si l’évangile de ce jour s’était clôturé sur le verset que nous venons de citer : Le Fils de l’homme est venu non pour juger, mais pour que le monde soit sauvé », c’eut été parfait. Mais le verset qui lui fait suite semble tout remettre en question :

 

« Celui qui croit dans le Fils de l’homme échappe au jugement,  celui qui ne veut pas croire, est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. » Jn 3,18

 

Dans ce verset, Dieu semble retirer d’une main ce qu’il avait donné de l’autre. Alors qu’il s’était engagé à ne pas juger, et le voilà qu’il annonce un jugement. Alors quoi ?

Effectivement ce verset fait problème. Dans le passé, des chrétiens l’ont exploité pour fermer les portes du Royaume aux païens et aux incroyants, càd à ceux qui vivaient dans l’ignorance de Jésus, ou qui, le connaissant, ne lui reconnaissaient pas sa dignité de Fils Unique de Dieu.

Aujourd’hui ces chrétiens se font rares. N’empêche que beaucoup d’entre eux continuent de ressentir un malaise, écartelés entre la conviction profonde que le Royaume n’est fermé à aucun humain, et ce verset qui semble affirmer le contraire.

 

Pour retrouver la sérénité, et du même coup sauver la bonté divine, il nous faut examiner de plus près deux groupes de mots du verset incriminé : « être jugé » et « qui ne veut pas croire »

 

Concernant le premier groupe, la question suivante se pose : « Par qui est-il jugé, celui qui ne veut pas croire ?  » Le texte ne le précise pas !  Serait-il jugé par le Fils de l’homme ? Si c’était le cas, nous aurions là une contradiction dans les termes : simultanément le Fils de l’homme jugerait et ne jugerait pas. Alors par qui est-il jugé celui qui ne veut pas croire ? Mais par lui-même !  C’est lui qui se condamne et personne d’autre !  Le verset 19 confirme cette lecture:

 

« Et le jugement, le voici : Quand la lumière est venue dans le monde,

des hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. »

 

Quand je suis malade, si je refuse de le reconnaître, ou  m’obstine à refuser l’aide de celui qui pourrait m’aider, n’est-ce pas moi et moi seul qui me condamne à rester malade ou à sombrer dans la mort. Oui, le grand désir du Fils de l’homme est que chacun de nous guérisse, que chacun de nous vive pleinement. Imaginer le contraire s’oppose à une saine lecture de l’évangile ! Restons fermement attachés à cette conviction que le Fils de l’homme est venu pour que le monde soit sauvé, soit libéré.

 

Abordons le deuxième groupe de mots : « Se condamne celui qui ne veut pas croire ?

Première réflexion : Ceux qui ne connaissent pas Jésus, parce qu’ils ne l’ont jamais vraiment rencontré, peuvent difficilement « ne pas vouloir » croire en lui. Autrement dit la condamnation lié au fait de ne pas croire au Fils unique de Dieu ne les concernent pas.

Deuxième réflexion : Dans l’expression « celui qui ne veut pas croire », l’objet de la foi n’est pas précisé. Cela veut dire que la foi dont il est question dans ce verset, passe aussi et peut-être d’abord, à travers une obéissance à la  vie, aux appels de ma conscience, à cette part de divin qui m’habite, aux appels des petits, aux grands préceptes de ma tradition religieuse, etc. Autrement dit, un homme peut s’inscrire dans la foi en Jésus Fils unique de Dieu sans pour autant le connaître explicitement. Cette parole de Jésus, tirée du récit du Jugement dernier, nous le confirme :

 

« Ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. »

Mt 25,40